“Apaga y vámonos” de Manuel Mayol Riera, Espagne, 2005, 87’
Documentaire
« Apaga y vámonos ,o que el último apague la luz », « Eteins la lumière en sortant », c’est qu’il ne faudrait pas gaspiller. En matière d’énergie, un Etat peut se retrouver confronté à des dilemmes : l’autonomie énergétique est une garantie de souveraineté, on ne dépend pas des ventes d’un Etat voisin et de la pression diplomatique qu’il peut exercer si bon lui semble. Se souvient-on de la crise du gaz russe voilà un an ? Des centaines de milliers de foyers en Europe de l’Est, en Bulgarie et Ukraine principalement, se sont vus couper l’accès au gaz en plein cœur de l’hiver, ce qui signifiait absence de chauffage, d’eau chaude et de gaz de cuisine. Un Etat cherchera donc spontanément à se doter de ses propres ressources énergétiques : en France nous avons le nucléaire, et des énergies vertes en essor (éoliennes et panneaux solaires principalement). Parmi les énergies « propres », il y a les usines hydro-électriques : de gigantesques barrages formant des bassins de rétention d’eau qui est ensuite libérée par des valves, l’énergie dégagée par la pression alimentant les turbines du système pour être stockée puis redistribuée. Puissant, efficace, infini, mais est-ce bien écologique ? La construction d’un barrage entraine nécessairement des dégâts collatéraux : il s’agit d’inonder toute une zone dans laquelle il n’y avait auparavant pas autant d’eau, juste un cours. Il faut donc exproprier les habitants qui y vivaient depuis des générations, avec leurs lieux de mémoire, leur patrimoine. De plus la faune et la flore locales sont touchées, l’équilibre naturel est artificiellement modifié ; les plus graves conséquences étant celles liées aux migrations de poissons dans l’ancien cours d’eau, qui se retrouvent broyés par les turbines s’ils descendent, ou qui ne peuvent plus remonter à cause du barrage. On n’évoquera pas les dégâts liés aux simples travaux. En revanche un barrage de grande taille donne accès à une source d’énergie incroyable, sans émission de carbone. D’où le dilemme pour un pays comme le Chili : chercher une autonomie énergétique en limitant les catastrophes sociales et environnementales.
« Apaga y vámonos » retrace le conflit du peuple mapuche-pehuenche avec la multinationale espagnole Endesa. L’histoire commence avec le Biobío, un des fleuves les plus importants du Chili. Il nait dans la cordillère des Andes avant d’aller se jeter dans l’océan Pacifique. Politiquement et historiquement c’est un symbole, il fut la frontière naturelle de la colonisation espagnole.
Endesa est la première entreprise hydroélectrique d’Espagne et d’Amérique Latine. En 1997 elle décide, avec l’accord des autorités chiliennes, de construire en amont du Biobío la centrale hydroélectrique Ralco, du nom de la vallée dans laquelle coule le fleuve. Dès le début du projet, en se saisissant de la Loi Indigène 19.253, le peuple mapuche s’oppose fermement ; le rapporteur spécial de l’ONU Rodolphe Stavenhagen en 2003 dénonça la violation des droits de l’homme lors de la construction de la centrale. Cependant en mai 2004, faisant fi de toute remarque, débuta l’inondation de la vallée de Ralco, 70 familles indigènes acceptèrent l’échange de terres et des compensations financières pour aller vivre dans des zones plus en altitude de la Cordillère, mais aussi moins fertiles et au climat plus rigoureux. Ainsi que le racontent les témoins du film, certaines d’entre elles sont restées plus de 3 ans sans électricité, s’éclairant à la lueur des bougies et se réchauffant près du foyer quand le bois n’était pas trop humide.
Durant tout le processus de construction de Ralco, et postérieurement, les porte-parole mapuche qui dénoncèrent la situation que vivaient leurs semblables, furent et sont encore persécutés et condamner par les tribunaux militaires chiliens, en application de la loi antiterroriste instaurée sous la dictature d’Angusto Pinochet et qui n’a pas connu de changement majeur malgré le retour à la démocratie. Cette loi autorise lors des procès l’audition de témoins « sin rostro », sans visage, donc cachés, anonymes, dont même les avocats des parties civiles ne connaissent pas l’identité, ce qui va à l’encontre des règles de procès équitable. Finalement la terrible réalité s’impose aux vœux et droits des mapuche. Ralco est la plus grande entreprise du Chili. Les terres sont inondées.
La communication avec l’entreprise sur les évènements est impossible. Les dirigeants restent injoignables et préfèrent garder le silence.
Le cas de l’entreprise Endesa n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’absence de dialogue triangulaire qui devrait exister entre l’Etat, les multinationales et les communautés indigènes. Le barrage de Ralco a été construit, mais l’histoire n’est pas encore terminée. Ce qui se passe actuellement avec Celco est peut être encore plus emblématique et violent, les communautés en sont venues à des luttes fratricides, déchirées entre l’appât du gain et le respect des coutumes ancestrales. De la même façon, des entreprises géothermiques s’implantent en ce moment dans le nord du pays, menaçant l’équilibre environnemental et la vie des populations locales, sous couvert d’intérêts nationaux. Le choix d’une politique énergétique au Chili est un débat toujours ouvert dans lequel une partie de la population est systématiquement stigmatisée.