Archives de Tag: étoiles

Du Calcium dans les Etoiles

Nostalgie de la Lumière” (Nostalgia de la Luz) de Patricio Guzmán, Chili, 2010, 96’

 

Nous n’avions pas vu de film de Patricio Guzmán depuis 2004 et la sortie en salle du documentaire « Salvador Allende » (voir note sur ce blog). Il revient avec ce film majeur et envoûtant sur le désert de l’Atacama, au Nord du Chili, terre des hommes et des étoiles, passé presque inaperçu en France dans quelques unes de nos salles obscures. On y trouve des traces de présence pastorale précolombienne, des graffiti gravés à même la roche ocre et rouge de ce vaste horizon froid et sec. C’est aussi l’endroit de la planète où l’on voit le mieux les étoiles, le paradis des astronomes. En se penchant sur le sol salé par endroit, on peut trouver des coquillages, quelques fossiles témoins du mouvement des plaques tectoniques. Des ossements humains aussi. Guzmán ne se départit pas de ses opinions et nous livre une version à la fois poétique et violente de la réalité, celle des charniers de l’Atacama.

Le paradis des astronomes

 

Les télescopes de l'Atacama

Construits sur un plateau, les télescopes internationaux gardent leurs objectifs obstinément braqués vers les étoiles, attendant d’elles un silencieux message à décrypter, une lumière nouvelle, des rayonnements bariolés. C’est ici que l’histoire de la Terre et de l’Univers est lentement retracée, en remontant le long des émissions lumineuses témoins d’évènements passés, dans cette galaxie ou une autre. Autour, il n’y a rien que le silence, ou le seul bruit du vent qui balaie continuellement les hautes plaines de l’Atacama. Des astronomes vivent ici, coupés du monde et des hommes, compagnons des étoiles et des planètes, traitant force données et relevés transmis par les impassibles observations télescopiques. Les majestueuses lunettes spatiales, alliance du verre, du cuivre et de l’acier, dorment sous des dômes mécaniques qui s’ouvrent avec flegme, suivant les ordres transmis aux rotations des rouages par ces scientifiques qui sont à la fois des explorateurs et des historiens.

Les charniers de l’Atacama

Une petite pelle et un seau à la main, une banane en bandoulière, elles sont encore quelques femmes à parcourir la vaste étendue du désert pour retrouver les corps de leurs proches que la dictature leur a caché à jamais. Car l’Atacama est chargé d’une histoire Ancienne et Moderne, celle des Indiens et celle de la Dictature : des milliers de corps de partisans de la liberté, de prisonniers, ou même de simples ouvriers des mines ont été déplacés et enterrés quelque part dans le désert pour les faire disparaitre à jamais. De l’emplacement de ces charniers, aucun document de subsiste, et les crimes de guerre ont été absous. Femmes, mères, grands-mères, sœurs de disparus, elles poursuivent un long combat désespéré pour déterrer la mémoire de ceux qu’elles chérissaient. De temps en temps, une phalange, un morceau de tibia ou de crâne, indique la localisation d’un de ces cimetières souterrains, et c’est alors un pan entier de vérité qui refait surface, des souffrances qui s’envolent. Leur quête infinie et vaine, tant le désert est vaste, elles souhaitent la mener jusqu’au bout de leurs forces, avec toute la colère et la passion qu’elles ont au fond d’elles. Patricio Guzmán a voulu donner la parole à ces héroïnes moins médiatiques que les Madres de la Plaza de Mayo en Argentine, mais toutes aussi vaillantes et courageuses.

« Le calcium des étoiles est le même que celui des os humains »

« Ils regardent les étoiles, mais parfois je voudrais qu’ils se tournent vers le sol pour scruter ce gigantesque désert et nous dire où sont enfouis ceux que nous aimons ». Les larmes aux yeux, une femme évoque ces télescopes de métal qui captent les vibrations de l’univers. C’est ici que les deux univers se rencontrent, les hommes et les étoiles : ce que ces dernières émettent et que les scientifiques interprètent, ce sont des vagues de calcium, les mêmes que celui de nos os. Dès lors pourquoi ne pas rêver de voir ces mastodontes se désaxer pour révéler les aires de calcium de l’Atacama, lire dans les entrailles du désert pour révéler la lumière des défunts ? La dictature de Pinochet a voulu faire taire les morts, cependant ils continuent de parler, grâce au courage de cette poignée de femmes.

« Nostalgie de la Lumière » est un documentaire émouvant et envoûtant ; dans l’Atacama, deux mondes que tout semble opposer ne sont peut être pas si éloignés. Patricio Guzmán laisse le spectateur avec les images des astronomes invitant les femmes du désert à utiliser les télescopes géants et à regarder cette Lumière si similaire.

la lumière des étoiles

1 commentaire

Classé dans Cinéma